TEXTES DE MEMBRES DE L'ASSOCIATION

LA FILLE AVEC UN TROU DANS LE CŒUR

Voilà ! C’était fini ! Malgré leurs serments. Malgré leur amour. Malgré tout !  

Il avait tenu le plus longtemps possible, agrippé de toutes ses forces à ce qu’il trouvait pour rester encore un peu avec elle, une branche, un rameau, une feuille, un bout d’écorce… Il l’aimait tant !                            Mais tout son corps lui faisait mal à force de résister.                                                                                                        Elle voyait bien ses efforts, et son cœur était déchiré. Le voir souffrir était devenu intolérable. Elle l’aimait tant. Mais l’idée de vivre sans lui la plongeait dans un abîme dont elle ne voyait pas le fond.  

Il n’y avait pas d’autre issue.

Elle l’embrassa doucement, chuchota à son oreille : merci mon amour, merci infiniment pour tout ce que nous avons vécu, mais maintenant envole toi ! Ne t’inquiète pas pour moi. Ton amour vit en moi. Pour toujours. Je t’aime! 

… il lâcha la dernière branche, s’éleva lentement. Elle le regarda disparaître dans le ciel, devenir un point minuscule, puis plus rien. Au moment où il disparut tout à fait, une grande douleur éclata dans sa poitrine. Son cœur venait d’exploser, laissant un trou immense.

Rien ne pouvait boucher ce trou béant qui s’agrandissait de jour en jour, effrayant tous ceux qu’elle croisait,  menaçant de la faire disparaître elle-même à chaque instant.                                                                                     

Alors, avec du fil de fer très fin, elle se tricota une tunique qui la recouvrit entièrement. C’était efficace. Mais lourd, si lourd ! 

Des jours, des mois, puis des années passèrent ainsi. Sous le poids de ce manteau de fer, elle avait fini par marcher voûtée. Elle ne pouvait plus voir les couchers de soleil, ni les étoiles, ni le vol des aigles au-dessus de la montagne…   Elle errait ainsi, sans joie, sans but, presque sans vie. Elle se rendait bien compte que cette cape si lourde finirait par la tuer.

Quand elle décida d’enlever la tunique si pesante, un matin, après avoir beaucoup pleuré, le trou était toujours là. Elle eut très peur. Une petite pluie, fine et douce, se mêlait à ses larmes. Elle réussit à relever sa tête, penchée depuis si longtemps. Elle aperçut alors l’arc-en-ciel qui couronnait le ciel. Elle en fut bouleversée, figée d’admiration.

Il se produisit alors quelque chose d’extraordinaire. Un petit rayon d’arc-en-ciel descendit et s’accrocha tout autour du trou que la Fille avait à la place de son cœur.

Ce fut le début d’une longue série. Une plume d’aigle s’emmêla dans les fils d’arc-en-ciel. Puis quelques perles de rosée, trois feuilles de pommier, une bicyclette, un tambour. Puis des rires d’enfants, l’écume d’une vague, une bougie d’anniversaire, la caresse d’un vent d’été. Le trou se bouchait petit à petit. Un bouquet de romarin, des paroles amies, une pinède, un carré de chocolat. Le trou était presque refermé. Des montagnes, une oreille attentive, un ruisseau, trois petites notes…

Le trou de son cœur éclaté était maintenant entièrement comblé par tout ce joli bric-à-brac poétique et chaleureux. Et bien pratique ! C’est ce qu’elle découvrit le jour où elle rencontra un enfant en pleurs, qui venait de perdre son doudou . Elle fouilla dans son cœur coloré et y trouva juste ce qu’il fallait pour consoler l’enfant. A la vieille dame abandonnée, elle offrit trois rayons d’arc-en-ciel qui illuminèrent tout l’espace de ses yeux. Au soldat déchiré, elle donna la caresse du vent d’été et le rire joyeux d’une jeune fille amoureuse. La Fille avec un trou dans le cœur constatait émerveillée que dès qu’elle donnait quelque chose de son cœur, il se remplissait aussitôt d’une autre chose, toute aussi belle et douce.

La Fille  ne sentait plus le vide dans son cœur, bien au contraire. Il y avait là un va-et-vient incessant qui  la remplissait de joie. Elle vivait maintenant, heureuse, quelque part au-delà des forêts et des montagnes, racontant à qui voulait l’entendre, des histoires qui s’envolaient au gré du vent.    

 

Parfois un chercheur de champignon ou un promeneur particulièrement chanceux trouvait l’une de ces histoires, que le vent avait déposée juste là. On disait qu’il fallait alors la garder précieusement contre son cœur, parce qu’elle avait le pouvoir de faire du bien. 

Un jour, la Fille rencontra une personne étrange, moitié fée, moitié sorcière, qui vivait seule dans une grotte. Elle lui faisait signe de la main. La Fille s’approcha. Touchée par la solitude de la fée-sorcière, la Fille lui donna tout ce qui restait dans son cœur : une fleur, un tambour, des rires, des gâteaux, des vêtements, un rayon de soleil… La fée-sorcière prit certaines choses avec plaisir, et en rejeta d’autres avec violence. « Tu embêtes tout le monde avec tes cadeaux ! lui dit-elle en colère. Nous n’avons  pas besoin de toi !»

Le cœur de la Fille n’éclata pas, c’était déjà fait. Mais il se remplit de larmes. C’était encore plus lourd que la tunique de fer. Elle tomba au sol. Son coeur gisait là, dans l’obscurité, silencieux, mort.

Les corbeaux arrivèrent en premier, comme toujours. C’était leur travail, ils nettoyaient tout ce qui était à nettoyer. De leurs becs pointus, ils percèrent le cœur de la Fille et aussitôt l’océan de larmes qu’il contenait coula sur le sol. C’était exactement ce que la Terre, aride à cet endroit, avait besoin pour que les graines qu’elle contenait pussent germer. La chaleur du soleil fit s’ouvrir des milliers de corolles. Et dans ce désert aride, on vit grandir une oasis. Les papillons arrivèrent, quelques oiseaux, qui à leur tour semèrent des graines d’arbres. Et en peu de temps, un véritable petit paradis vit le jour.

On dit qu’alors, deux magnifiques oiseaux d’un blanc immaculé emportèrent la Fille sur leurs grandes ailes. On dit que parfois, si on écoute le vent, on peut L’entendre rire…                                                                               Elle avait enfin retrouvé son amour.

 

Très beau texte de Marie-José GALL

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